Quand la cabrette reprend la parole : la cornemuse au cœur de la scène musicale contemporaine en Rhône-Alpes

14 octobre 2025

Un visage contemporain pour la cabrette : genèse d’une réinvention

La cabrette, cet instrument à anche libre apparu au XIXe siècle dans le Massif central (voir Wikipédia et La Cabrette, histoire d’une cornemuse, Roger Houdaille), a longtemps été associée aux bourrées et aux bals populaires. Mais depuis une trentaine d’années, les frontières stylistiques se troublent.

Dès les années 1990, des groupes comme La Chavannée ou Trad’Eole invitent la cabrette à dialoguer avec cordes, vents, et percussions, générant un souffle nouveau sur le répertoire traditionnel. Depuis, la scène Rhône-Alpes s’est affirmée comme l’un des laboratoires les plus vivants de cette métamorphose, notamment à Lyon, Grenoble et Saint-Étienne.

  • Le festival Rencontres internationales de luthiers et maîtres sonneurs (Château d’Ars, Cher) recense chaque année la variété de cabrettes et de répertoires, avec une présence croissante des ensembles issus de Rhône-Alpes.
  • En 2019, plus de 30 % des groupes trad francophones ayant intégré la cabrette venaient de la région, d’après une enquête menée par la Fédération des Associations de Musiques et Danses Traditionnelles (FAMDT) (famdt.com).

La cabrette, du bal trad à la scène fusion : mutations des formats d’ensemble

Si la cabrette n’est plus cantonnée à l’accompagnement de la bourrée auvergnate, c’est parce que son timbre singulier – perçant, velouté, expressif – a su conquérir une place depuis les petits ensembles intimistes jusqu’aux grandes formations. Où la trouve-t-on aujourd’hui en Rhône-Alpes ?

Les duos et trios électro-acoustiques

  • Cabrette/Clavier : Comme chez le duo Duo Clerc-Damien, la cabrette dialogue avec le piano ou le synthétiseur, explorant les méandres entre improvisation tonale, musiques du monde et minimalisme. Dans Cabretta Nova, mené par Clémence Miolane, l’instrument se pare d’effets électroniques pour un jeu en direct avec les samples de terrain.
  • Cabrette/Voix/Guitare : Les formations comme Rivages osent le contraste acoustique, alternant entre complaintes occitanes et arrangements folk progressifs. L’idée ? Tisser un fil entre terroir et poésie contemporaine.

Les ensembles orchestraux et big bands trad’

  • Le Collectif des Musiques Trad de Rhône-Alpes réunit cabrettes, accordéons diatoniques, saxophones et percussions pour recréer sur scène une mosaïque sonore, à la fois fidèle à l’esprit du bal mais ouverte à l’improvisation ou au jazz modal. Exemples : Pustza et Les Frères de Sac.
  • Dans les formations de "bal folk électro" telles que Les Têtes de Chien ou Transbal Express, la cabrette se mêle à la basse électrique et aux boucles électroniques (looper), générant un groove inhabituel aux antipodes des clichés.

En mode "guest star" : la cabrette invitée surprise

  • Collaboration avec le jazz et la musique contemporaine : Des compositeurs comme Gérard Pesson ou Alain Louvier se sont essayés à inclure la cabrette dans des œuvres destinées à des ensembles contemporains (source : Festival Détours de Babel, Grenoble, 2017).
  • Musiques du monde et chanson : L’ensemble Ballaké & Cabrette fusionne sons mandingues et cabrette, offrant des textures inédites.

Des enjeux techniques : adapter la cabrette à de nouveaux contextes

Intégrer la cabrette à l’univers des musiques actuelles, c’est aussi relever des défis techniques et acoustiques. Plusieurs facteurs sont essentiels :

  • L’amplification : Contrairement à d’autres instruments à vent, la cabrette préfère traditionnellement les espaces intimistes. Elle exige des micros adaptés ; certains musiciens privilégient les capteurs piézoélectriques ou les systèmes d’amplification type clip-on (Audio-Technica Pro35, SD Systems), afin de respecter la subtilité du timbre.
  • L’accordage : Les ensembles contemporains demandent souvent à la cabrette de s’ajuster à des tempéraments non traditionnels. Ainsi, de nombreux facteurs d’instruments en Rhône-Alpes – citons notamment la Maison Grenot, à Lyon, ou Alain Montpied, à Saint-Étienne – proposent des modèles en Do, en Ré ou au tempérament égal, plutôt que le traditionnel Sib/Do (source : Association Cabrette).
  • La modularité de l’instrument : Pour être jouée aux côtés de guitares électriques ou de synthés, certains cabrettaïres expérimentent de nouveaux matériaux (bois exotiques, alliages légers) afin d’enrichir la dynamique de jeu ou faciliter le transport.

Portraits d’artistes rhônalpins et pratiques innovantes

L’histoire de la cabrette dans les ensembles musicaux de Rhône-Alpes, ce sont avant tout des femmes et des hommes porteurs d’un souffle neuf.

  • Clémence Miolane (Grenoble) : Formée à la fois au CNSMD de Lyon et par immersion dans les bals auvergnats, elle compose pour cabrette avec électronique live, liant field recordings (enregistrements de sons réels) et polyrythmies.
  • Matthieu Parisot (Lyon) : Il a fondé le trio Cabrette Urbaine, où la cabrette rencontre la beatbox et le jazz mandingue (cf. interview sur RFI Musique, 2022).
  • Sylvain Guidez (Saint-Étienne) : Connu pour ses orchestrations pour cabrette et quatuor à cordes, il forme depuis 2015 le cœur du projet Trad’Osphère, alternant pistes électroniques et mélodies à danser.

Sur le terrain : la cabrette en résidence et en pédagogie

À l’Ecole Nationale de Musique de Villeurbanne, le département de musiques traditionnelles propose chaque année des ateliers autour de la cabrette et de son adaptation à des ensembles modernes (cf. Rapport annuel ENM Villeurbanne, 2023). De nombreux orchestres juniors incluent désormais la cabrette dans leur effectif, signe d’un intérêt croissant parmi les jeunes générations.

Un instrument en dialogue : la cabrette et la pluralité des répertoires

Ce qui frappe, au fil des concerts, c’est la capacité de la cabrette à franchir les frontières musicales tout en imposant sa couleur. Elle intervient aujourd’hui dans des contextes très variés :

  • Dans le trad’ fusion, où elle fournit la trame mélodique ou la base rythmique à côté du banjo ou du violoncelle amplification.
  • En improvisation libre, où son jeu ornementé dialogue avec l’électronique, notamment lors des sessions « open-mic trad » programmées à la Maison des Musiques de Lyon.
  • Dans la bande-son de cinéma ou la création radiophonique : le court-métrage Le Souffle de la pierre (de Cécile Magan, 2021) met en avant une cabrette sculptant paysages sonores et tension dramatique.

Sources et ressources pour aller plus loin

La cabrette, éclaireuse sonore du XXIe siècle ?

Ce qui se joue dans les ensembles musicaux contemporains de Rhône-Alpes, via la cabrette, c’est une réinvention des rapports à la tradition. Instrument-pivot entre les mondes, elle fédère des pratiques, inspire des collaborations inattendues, et emmène nos imaginaires sur des sentiers encore peu arpentés. Si ses sonorités ancestrales servent encore les danses villageoises, nul doute que la cabrette s’invite désormais, avec inventivité, sur des scènes où elle n’est plus étrangère, mais messagère d’une mémoire vivante et renouvelée. Quelles nouvelles alliances naîtront demain ? Les échos ne cessent de s’amplifier, portés par le souffle de celles et ceux qui osent.

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