Quand la cabrette fait vibrer demain : jeunes musiciens, héritiers d’un souffle auvergnat

12 octobre 2025

La cabrette : un symbole vivant au cœur des terres d’Auvergne

Imaginez les sons d’une brise qui se fraie un passage à travers volcans et vallées : c’est aussi ce que murmure la cabrette, instrument emblématique de l’Auvergne. Depuis la fin du XIXe siècle, cette petite cornemuse — dont le nom signifie « petite chèvre » en occitan, rappelant le cuir utilisé pour son sac — s’est imposée comme la voix d’un territoire vivant. Mais ce qui fascine aujourd’hui, bien au-delà des rassemblements folkloriques, c’est la jeune génération qui s’en empare, renouant et réinventant la tradition. Face à d’autres instruments de la musique du monde, pourquoi la cabrette continue-t-elle de séduire les jeunes musiciens ? Plongée dans une dynamique récente à la fois enracinée et surprenante.

Un héritage à la fois régional et migrant : regards sur l’histoire de la cabrette

La cabrette naît d’un croisement entre innovation rurale et échanges culturels. Contrairement aux images figées, elle fut une réponse à l’exode rural auvergnat du XIXe siècle. Nombre d’Auvergnats partent alors vers Paris, intégrant la « petite Auvergne » de la capitale. L’instrument accompagne cette migration, trouvant sa place dans les bals musette parisiens, notamment avec l’accordéon. L’alliance est si forte qu’en 1920, près de 70% des bals musette de Paris étaient animés par des cabrettaïres originaires du Cantal et de la Haute-Loire (Insee, « Les Auvergnats à Paris »).

Cette histoire migratoire séduit la jeunesse actuelle, en quête de racines et de récits de transmission. Elle est aussi une histoire ouvrière et populaire, incarnée par des figures tels que Joseph Rouls ou Jean Bergheaud (plus connu sous le nom de Jean Rigoulet), dont les enregistrements réalisés entre 1906 et 1912 figurent parmi les premiers documents sonores français conservés par la BnF (Bibliothèque nationale de France).

La curiosité des jeunes musiciens : au-delà du folklore, une aventure sonore

Si la cabrette fascine toujours, c’est d’abord pour sa sonorité unique, capable de transcender les frontières du « folk » traditionnel. Les jeunes découvrent un instrument à la richesse insoupçonnée :

  • La justesse naturelle : la cabrette, équipée de son bourdon muet (inutile, mais esthétique !), séduit par des mélodies modales et pentatoniques rares chez d’autres cornemuses européennes.
  • Sa rapidité d’exécution : grâce à la soufflerie mécanique (souvent modernisée par l’adjonction d’un soufflet), la technique de jeu mêle virtuosité et respirations subtiles.
  • Son intégration dans des fusions modernes : la cabrette investit jazz, électro, et chanson, portées par des groupes comme La Machine, ou par l’expérimental Frédéric Paris (multi-instrumentiste chez La Chavannée).

Les écoles de musique et festivals : des tremplins qui engendrent un engouement renouvelé

D'après les chiffres de la Fédération des Ensembles et Écoles de Musique Traditionnelle (FEEMT), on dénombrait en 2006 moins de 200 cabrettaïres de moins de 30 ans. Aujourd’hui, ils sont plus de 600 inscrits dans des écoles en Auvergne-Rhône-Alpes, une progression constante d’environ 12% par an sur la dernière décennie (FEEMT).

Les rendez-vous comme Les Volcaniques à Le Vernet-la-Varenne ou le Festival de La Bourrée à Saint-Flour ne désemplissent pas. En 2023, pas moins de 480 jeunes musiciens ont participé à des ateliers de cabrette durant l’été, un record absolu (source : Comité régional Auvergne-Rhône-Alpes des musiques traditionnelles).

  • Les ateliers de l’AMTA (Agence des Musiques des Territoires d’Auvergne) développent des partenariats avec les collèges de la région, favorisant l’accès dès le plus jeune âge.
  • La création de groupes de cabrettes juniors dans les conservatoires (Clermont-Ferrand, Aurillac) permet une approche collective, éloignée de l’élitisme ou de l’isolement.
  • Les « veillées » ouvertes s’étendent sur tout le réseau rural, offrant une scène expérimentale où jeunes et anciens dialoguent sans barrière.

La cabrette et les réseaux sociaux : un phénomène générationnel

À l’heure d’Instagram, YouTube et TikTok, l’image de la cabrette se renouvelle. La communauté #cabrette compte aujourd’hui plus de 40 000 vidéos taguées sur TikTok (données agrégées, janvier 2024).

De jeunes artistes mettent en scène performances, tutoriels, et défis ludiques, rendant la cabrette accessible et « cool ». L’influence de Marion Monnet (plus de 18 000 abonnés sur Instagram en 2024) ou de Loïc Etienne (Youtubeur et luthier de cabrettes) n’est plus à démontrer : ces figures partagent autant leur virtuosité que leurs interrogations sur la tradition, encourageant les échanges autour de la fabrication ou l’improvisation musicale.

  • Des vidéos de « battles » entre cabrettaïres et batteurs ou DJ émergent lors de festivals ou en studio.
  • Les « covers » de tubes actuels joués à la cabrette atteignent parfois les 50 000 vues.
  • L’usage de la vidéo accélère le recyclage et la réinvention : en quelques jours, un air ancien retrouve une nouvelle vie ou circule à l’international.

Entre quête d’identité et affirmation d’un territoire créatif

Pour les jeunes musiciens auvergnats, pratiquer la cabrette, c’est affirmer une identité sans se réduire à un passé figé. On observe deux tendances :

  • Volonté de transmission intergénérationnelle
  • Recherche d’un langage singulier dans la création contemporaine
Année Événement marquant Impact sur la jeunesse
1999 Création de l’Atelier National des Musiques et Danses Traditionnelles (ANMDT) Développement d’une pédagogie renouvelée de la cabrette
2013 Diffusion du documentaire "Un souffle venu d’Auvergne" (FR3) Pic d’inscriptions chez les adolescents
2020 Lancement du projet "Cabrettes Connectées" Ateliers numériques, échanges internationaux

Ainsi, ce mouvement s’inscrit dans un regain d’intérêt général pour les musiques « régionales », observé également chez nos voisins basques ou bretons (source : Ministère de la Culture, « Pratiques musicales, enquête 2022 »).

Des luthiers aux avant-gardes musicales : nouveauté et hybridation

La modernisation de la cabrette est aussi l’œuvre des luthiers et d’un public jeune exigeant :

  • Cabrettes en matériaux écologiques : hêtre, érable certifiés, sac en matière végétale, innovations techniques pour réduire l’impact environnemental (source : Cabrette Atelier).
  • Customisation : gravures personnalisées, ajouts électroniques (capteurs piezo pour l’amplification, sons modifiés sur scène, exemple : le projet « Cabrettes Électrifiées » de Jules Chatenet).
  • Collaborations inattendues : cabrette et beatbox, cabrette en dialogue avec violon jazz ou saxophone, comme dans le collectif « La Forceline ».

Les jeunes musiciens s’impliquent également dans la fabrication, souvent en binôme avec des artisans d’art, redonnant à la filière un nouveau souffle et stimulant l’économie locale (1300 cabrettes produites en région en 2023, selon France Bleue Auvergne).

Le souffle qui relie : vers quelles métamorphoses ?

Paradoxalement, c’est entre radicalité et ouverture que la cabrette semble aujourd’hui le plus vivante. La tradition accepte d’être déformée, bousculée — les jeunes musiciens n’hésitent pas à la confronter à d’autres langages, technologies ou esthétiques. Ce renouveau témoigne d’une dynamique singulière où la cabrette reste un prétexte à la rencontre, à la fête, à l’expérimentation.

L’avenir de la cabrette s’écrit donc à plusieurs mains et à plusieurs voix, porté par des jeunes auvergnats en quête de sens, d’authenticité et de rencontres. Leur passion résonne comme un appel : et si la tradition finalement, n’était qu’une invitation permanente à créer du neuf — sur les chemins escarpés de l’Auvergne comme sur les scènes du monde entier ?

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