Cabrette vs autres cornemuses : les signes distinctifs
Le souffle des mains : quand le soufflet fait toute la différence
Contrairement à la plupart des cornemuses européennes (soufflées par la bouche), la cabrette introduit, dès les années 1860, un soufflet actionné par le bras. Cette innovation, empruntée parfois à l’accordéon, permet au musicien:
- De préserver sa respiration, rendant possible des solos longs et virtuoses
- D’offrir un son plus stable et moins humide : absence de condensation dans l’anche
- De jouer et chanter en alternance, ou d’accompagner auvergnate et bourrée toute une nuit sans faiblir
Seule la musette baroque (musette de cour), luxueux instrument français du XVIIIe, partage cette caractéristique. Mais la cabrette, en l’adoptant au cœur du peuple, démocratise son usage.
Un bourdon unique : la sobriété au service de la mélodie
La cabrette se distingue par un seul bourdon, réglé généralement sur l’octave ou la quinte grave du chant. Le Binioù kozh breton, lui aussi à bourdon unique mais bien plus aigu, contraste avec la cornemuse écossaise ou la gaita galicienne qui présentent deux, voire trois bourdons.
Ce choix donne à la cabrette :
- Une légèreté sonore propice à la virtuosité et à la rapidité d’exécution
- Un équilibre subtil, où la mélodie survole le tapis harmonique sans s’y dissoudre
- Un timbre moins saturé, idéal pour les intérieurs ou les bals
La perce et la « poesie » du son : une voix singulière
Montée le plus souvent en buis, érable ou fruitier local, la cabrette développe un timbre clair, presque argentin, qui fascine ethnomusicologues et musiciens.
- Sa chanterelle percée conique (à différence de la perce cylindrique de la musette du Centre) accentue la rapidité d’émission et la brillance du son. L’agilité du doigté permet aux cabrettaires d’improviser ornementations et trilles.
- La plage tonale de la cabrette est assez réduite, généralement une neuvième ou une octave, mais la vélocité et la dynamique compensent ce manque d’ambitus.
- Certains modèles historiques étaient accordés en sol, la, ou si bémol.
La musette du Centre, elle, offre un jeu plus ample et un timbre plus doux, moins coupant. Le son du binioù breton traverse la lande, quand la cornemuse écossaise, elle, fait vibrer tout un régiment sur des kilomètres !
L’évolution, du bal musette au répertoire savant
La cabrette, au début, accompagne presque exclusivement les bourrées d’Auvergne et les danses dans les estaminets parisiens. Entre 1875 et 1920, on recense plus de 150 cabrettaires au sein des bals parisiens, dont le fameux Joseph Rouls (cf. INA).
Le mariage entre cabrette et accordéon (apparu vers 1880 dans ces mêmes bals) marque l’histoire du « bal musette » et son rayonnement au-delà du Massif central. Le duo cabrette-accordéon a profondément influencé la chanson et la valse françaises jusqu’au XXe siècle.
Ailleurs, l’ancrage est différent :
- Le binioù, souvent joué avec le bombarde, garde la priorité des danses à figures et des fêtes agricoles
- La cornemuse du Centre reste surtout rurale et villageoise, accompagnant les « nuitées » et rituels locaux
- La gaita galicienne a gagné une stature officielle, accompagnant processions, cérémonies et compétitions